angles de vue...

Salut ! J'affectionne les noms des princes africains de l'antiquité. Je m'appelle Naravas, j'ai 32 ans et je vis près du pays des hommes. Les étoiles me sourient parfois. j'ai fait naguère le sermon de sentir le parfum de toutes les matinées embaumées. En gros, j'appartiens aux Gens de l'Invisible...

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Lieu : Paris, France

Vous voulez peut-être savoir un peu sur moi ? Je vis à Paris, je n'ai pas de vacances et je suis trés occupé en ce moment. Je trouve du temps pour discuter sur Internet, ce qui me permet de décompresser et d'oublier le travail qui m'attend la journée. Cette société urbaine de gens qui grouillent, au nord de la Méditerranée, est vraiment très curieuse même si on a perdu la capacité de s'en étonner. Je trouve que les scientifiques d'ici se sont coupés des réalités quotidiennes. Oui, je dois dire aussi que je suis un Arabe (ou presque), c'est une identité qui me convient bien. Pour le reste, il m'est difficile de parler de moi-même autrement qu'à l'oral... Pour en savoir plus, allez sur mon blog en cliquant sur PAGE WEB PERSONNELLE sur votre gauche. L'adresse de mon nouveau blog est la suivante : http://www.anglesdevue.canalblog.com/

dimanche, juin 04, 2006

La famine sexuelle au Maghreb

C'est avec grand plaisir que j'aborde avec vous ces éléments de discussion sur la "famine sexuelle" au Maghreb, question à mes yeux primordiale. Je l'appelle "la question sexuelle" (âala wazn - construit sur le modèle de - la "questions juive".)
Je vais essayer de répondre à quelques préliminaires...



1) Le bordel : cette "institution" apparait à chaque fois que l'on discute de sexualité et tout cela n'est pas très féministe lol ! C'est pourtant paradoxal, car le bordel est à la limite l'antipode de la sexualité. Le concept de cette dernière a été élargie, comme tu le sais, par les idées de Freud. Il ne faut donc pas la confondre avec le "sexe" qui n'est qu'un moment certes important mais réduit de l'ensemble océanique des affects proprement sexuels. Discuter avec une personne de sexe opposée, rigoler, jouer, taquiner, courir, apprécier esthétiquement, etc. toutes ces activités comportent une dimension érotique que d'autres appellent simplement la joie de vivre. Pourquoi le jeune client maghrébin du bordel doit-il en être privé ?

- Il serait intéressant de placer sur une carte du Maghreb le nombre des bordels existants et de calculer à combien d'habitants correspond un seul point...lol !

- Humainement parlant, aucun bordel, même s'il emploie des centaines de prostituées, ne peut répondre aux besoins strictement sexuels d'une population. Les journalistes, véritables demi-cultivés, radotent comme des vieilles sur ces lieux fantasmatiques. En vérité, ce ne sont que les indices d'une misère sexuelle effroyable...

-Il n'existe pas d'homme dont les besoins en matière de femmes se réduisent au fait de "se vider". Cela est une chimère. Le Maghrébin n'a pas besoin de payer pour se vider...Il a besoin d'une vie sociale mixte qui permet le don gratuit du corps et du sentiment.

- Il n'existe pas de bordels pour femmes au Maghreb. Pourquoi devrait-on penser "hommes" à chaque fois que l'on parle de famine sexuelle ? Les femmes ont aussi faim que les hommes au Maghreb ! Elles ont faim et pas uniquement de "sexe".

Une blague pour le dire...
" Un groupe de fondamentalistes armés intercepte dans un faux barrage un bus plein de voyageurs (civils). L'émir (le chef) décide que tous les hommes soient dépouillés de leur argent et que toutes les femmes soient violées. Une jeune fille, émue par cette décision, se lève et dit :
- Monsieur l'émir, c'est juste que vous assouvissiez vos instincts sur nous, jeunes filles, car vous n'avez pas vos épouses avec vous dans les maquis. Mais de grâce, laissez partir ces vieilles femmes, elles ne pourraient supporter une telle opération ...
A ce moment là, une vieille femme en colère se lève à l'arrière du bus et fait rageusement :
- Il a dit "tout le monde", alors qu'on y passe toutes !!! ( Qal Ga'e, Ga'e !!!)


- Un jeune maghrébin se déporte vers des sexualités clandestines parce qu'il ne trouve pas de débouchés à ses pulsions dans la vie normale. La floraison des bordels et des lieux de prostitution est le meilleur indice de l'intransigeance morale ambiante et de la répression générale des plaisirs. C'est la misère existentielle, la souffrance tue parce que honteuse du corps qui mène le Maghrébin ordnaire vers ces lieux que souvent il réprouve.

Il y a d'autres moyens pour pallier à cette impossibilité et dont on ne parle pas: la pédophilie devenue banale et l'homosexualité des gens qui ne sont constitutionnelement pour ainsi dire pas homosexuels. (Y'en a de vrais évidemment...). Une grande partie des pédophiles maghrébins ne sont pas des déséquilibrés mentaux mais des affamés sexuels; une grande partie des homosexuels (surtout actifs) ne sont pas des homo mais des hétéro en panne de femmes...

- Je vais plus loin: la misère sexuelle, le Maghrébin la transporte avec lui dans l'émigration. La thèse de Ben Jelloun, qui porte le joli titre "La plus haute des solitudes", le montre clairement. Plus encore, dans le choix même de quitter son pays intervient de façon décisive son "manque sexuel". Ces dernières années, il n'avait que le choix entre la répression accrue de ses instincts dans l'islamisme, (un mouvement fondé avant tout sur la répression des plaisirs comme le montre Khalida Messaoudi par exemple ou Mimmouni) ou l'émigration vers ce qu'il considérait dans ses fantasmes comme "un paradis sexuel". Un humoriste comme Fellag a fait de cette vérité un objet de travail artistique...



2) Les "simulacres d'Occident": je n'ignore pas que les élites économiques ou politiques du Maghreb s'organisent des "simulacres d'Occident" où l'on est souvent plus royaliste que le roi et où sexe, vin et femmes ne manquent pas. Je suis d'accord avec toi quand tu dis qu'ils n'ont rien compris, c'est d'ailleurs le cas de tous les mimétismes. Mais je crois qu'il ne faudrait pas confondre ces microcosmes qui existent et qui vont de Casa à Tunis en passant par Alger (Hydra), avec le Maghreb, qui est un réel anthropologique très différent.

3) Les élites maghrébnes, notamment intellectuelles, cultivent une cécité qui ressemble fort à un ethnocentrisme de classe. Il nous a toujours fallu attendre les bons occidentaux pour venir sur place nous produire des descriptions de terrain, des études de cas, pour avoir un accès à la connaissance de notre propre société. Pourtant, les intellectuels ne tarrissent pas quand il s'agit d'expliquer à coup de sociologie spontanée ce qu'ils n'ont jamais étudié. Alors, les journalistes...

4) Les défavorisés et les ruraux : les Maghrébins ont un égal droit à l'exercice de la fonction sexuelle, quelque soit leur condition économique ou géographique. La réalité est loin d'être telle. Il est injuste que le jeune homme de Hydra (quartier chic d'Alger)se donne le droit d'aimer et de vivre dans la mixité et la sexualité au moment où son compatriote de Djelfa est acculé à une misérable sexualité de bordel sans en avoir les moyens financiers. Cette injustice là, cette souffrance qui n'a pas encore acquis le droit à la visibilité publique, les politiques la couvrent et la légitiment. Eux qui connaissent d'autres problèmes, qui vivent dans l'opulence sexuelle, tiennent un discours ultra-conservateur en cette matière en mobilisant toutes les valeurs de l'islam rétrograde.
Numériquement, c'est le défavorisé qui fait le Maghreb. Rien ne peut se faire sans lui et sans une âpre négociation avec son Ancêtre Affamé (pour parler par images). L'élite a perdu ses ambitions progressistes du temps du socialisme. Elle s'occupe à présent volontiers d'elle-même. Mais cela relève du mauvais calcul politique...

5) Il faudrait que la jeune fille de la fac du 9 avril avec laquelle j'ai bu un verre à Tunis centre n'ait pas la peur de rencontrer un parent en sortant avec moi. Il faudrait que la jeune et belle Rym à qui j'ai offert un thé à Sidi Boussaïd se sente plus à l'aise et ne soit pas angoissée par le couvre-feu imaginaire qui faisait qu'elle devait rentrer à une certaine heure. Il faudrait que le jeune Tozeurois que j'ai rencontré cet été puisse aller cultiver la palmeraie familiale en compagnie de l'élue de son coeur. Il faudrait que l'homme que j'ai rencontré dans les escaliers d'un bâtiment où on cherchait un cybercafé m'épargne son regard haineux en me voyant embrasser mon ex-copine dans la cage d'escalier. Il s'est calmé quand il s'est rendu compte que nous étions des "étrangers", mais il faudrait qu'il se calme devant le droit au plaisir publique (et non clandestin)des Tunisiens, ses compatriotes ! Il faudrait que les jeunes filles que j'ai rencontrées aussi à Tozeur puissent librement m'inviter à rentrer chez elles, et non plus inviter ma seule copine en me signifiant que je devais rester dehors. Il faudrait enlever la plaque honteuse où il était écrit à la forêt de Yakouren, en Kabylie, région pourtant la plus "développée" de ce point de vue en Algérie, ...où il était écrit "Interdit aux couples" !!!

Ce que l'on met dans l'expression à mon sens fausse de "condition de la femme" n'est au Maghreb qu'un aspect fort circonscrit de cette condition de tout le monde qui est "la famine sexuelle". Je ne vais pas défendre l'idée que la mixité est une illusion suscitée par la juxtaposition des sexes, et que partout au contraire règne la séparation des sexes (elle est le leitmotiv de toutes les études sociologiques). Bourdieu a démontré qu'elle est inscrite dans les catégories de la vision du monde. Mais il est à remarquer que dans ces pays toutes les craintes conservatrices sont orientées vers les conséquences supposées néfastes d'une libération des moeurs. C'est la peur d'un retour à la "sauvagerie" qui est exhibée à chaque fois...


A mon avis, seule la connaissance impartiale du terrain et surtout la méfiance envers 1) les discours les plus ambiants; 2) l'image que les intellectuels essayent de donner de leur pays à l'Occident et à eux-mêmes; 3) le réflexe naturel qui consiste à prendre son milieu ou sa région pour tous les milieux et toutes les régions;
peut nous aider à apprécier l'ampleur des souffrances non déclarées et la profondeur de la famine sexuelle, véritable tragédie maghrébine du XXème siècle. Je crois aussi qu'il faut attendre longtemps pour voir les images du sexe et de la pornographie (que je ne défends pas)consommés massivement par les jeunes Maghrébins fabriqués localement (il n'existe pas encore de revue érotique maghrébine). Si tel est le cas, c'est parce que nous sommes loin du monde de Tîfachî et d'Abu Nawwas !


Je vous embrasse toutes et tous et vous souhaite une très bonne nuit !


Naravas.